Avant 2017, l’article L.2325-38 alinéa 1er du Code du travail disposait que le Comité d’Entreprise pouvait « recourir à un expert technique à l’occasion de tout projet important dans les cas énumérés aux articles L. 2323-29 et L. 2323-30 ».
L’article L.2323-29 du Code du travail visait « tout projet important d’introduction de nouvelles technologies, lorsque celles-ci sont susceptibles d’avoir des conséquences sur l’emploi, la qualification, la rémunération, la formation ou les conditions de travail ».
La question de l’impact sur les conditions de travail était donc au cœur des débats relatifs à la légitimité du recours à ces expertises.
Ainsi, l’installation d’un nouveau système informatique plus moderne, affectant 600 postes et impliquant une nouvelle formation des salariés, pouvait justifier une expertise. (Soc. 28 oct. 1996, n°94-15914).
A l’inverse, n’était pas considéré comme un projet suffisamment important pour justifier un tel recours, l’installation d’un micro-ordinateur au service comptable de l’entreprise, dès lors que la réorganisation induite n’avait pour effet que la suppression ponctuelle d’un seul poste (Crim. 29 mars 1994, n°93-80962).
Toutefois, à l’occasion des ordonnances Macron, le texte relatif à cette expertise a significativement évolué.
En effet, l’article L.2315-94 alinéa 2 du Code du travail dispose désormais que :
« le Comité Social et Economique peut faire appel à un expert habilité (…) en cas d’introduction de nouvelles technologies ou de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail »
Ainsi, on peut déduire de cette nouvelle rédaction qu’il ne semble plus nécessaire que l’introduction de la nouvelle technologie entraine un aménagement important des conditions de travail.
Le Tribunal judiciaire de Pontoise rejoint cette analyse puisqu’il a jugé qu’« il ressort des dispositions législatives précitées, dans leur version en vigueur, que l’introduction de nouvelles technologies dans l’entreprise justifie à elle seule le recours à l’expert sans qu’il soit nécessaire de démontrer d’emblée, l’existence de répercussions sur les conditions de travail des salariés, permettant ainsi aux élus du CSE d’exercer leur mission de préventeur » (TJ Pontoise, 15 avril 2022, n°22/00134).
L’exigence de la démonstration d’une dégradation des conditions de travail pour recourir à une expertise n’existe donc plus, selon lui.
Le caractère « nouveau » de la technologie est consacré comme seul critère d’appréciation, et ce, quel que soit l’impact sur les conditions de travail.
Cette décision nous semble tout à fait conforme à la lettre et à l’esprit du nouveau texte et donc tout à fait pertinente. Cependant, il s’agit, à notre connaissance et à date, de la première décision appliquant les nouveaux critères issus des ordonnances Macron. Il faut donc attendre que la Cour de cassation prenne position sur ce point pour affirmer d’un abandon définitif du critère d’importance du projet comme préalable à la désignation d’un expert.
Il appartient dès lors au CSE de caractériser uniquement le caractère « nouveau » de la technologie mise en place par l’employeur.
Ce critère de nouveauté a été défini dès 1984 comme étant toute technologie différente, introduite au sein de l’entreprise, quand bien même elle serait d’ores et déjà largement répandue dans le secteur d’activité ou l’économie (Circ. DRT n°12, 30 nov. 1984).
La technologie mise en œuvre peut être nouvelle en tant que telle, au regard de l’état de la technique, ou être simplement nouvelle dans l’entreprise (Verkindt, Pecaut-Rivolier, Loiseau et Lokiec, Droit de la représentation du personnel, 2018, Dalloz, n°432.131).
Ainsi, constitue l’introductiond’une nouvelletechnologie :
- la mise en place d’un nouveau matériel informatique entraînant une modification des méthodes de gestion de l’entreprise, notamment par la multiplication des terminaux et leur utilisation par un plus grand nombre de salariés (Soc. 2 juill. 1987, n°85-18434) ;
- le renouvellement ou la modernisation d’une technologiedéjà présente dans l’entreprise, dès lors que sont mises en œuvre des combinaisons techniques inconnues des salariés (Soc. 9 juill. 1997, no95-20294).
- un projet d’introduction d’un système d’intelligence artificielle qui n’aurait que « des conséquences mineures dans les conditions de travail » (Soc. 12 avr. 2018, n°16-27866).